1940, année de grandeur française
Extrait du livre : Histoire de la voyance et du paranormal de Nicole Edelman – Éditions du Seuil.
(…) Par-delà cette diversification, l’astrologie conserve ses fondements prédictifs liés à la construction d’horoscopes. De même, les prédictions sur l’avenir des relations internationales se multiplient pendant les années 1930.
Celles qui relient les Centuries de Nostradamus et le futur du monde et surtout de l’Europe sont de plus en plus nombreuses. Maurice Privat fait ainsi du commentaire des Centuries un des sujets principaux de sa revue Nostradamus.
L’enjeu de cette publicité prédictive astrologique et son emprise probable sur l’opinion publique prennent une telle dimension politique que le ministère de l’Intérieur français commande des prédictions favorables à Maurice Privat. Elles paraissent en 1940 sous le titre (pour le moins malheureux au vu de la réalité) : 1940, année de grandeur française.
Le Dr Pigeart de Gurbert (alias Max de Fontbrune), médecin à Sarlat, avait découvert par hasard en 1934 les écrits de Nostradamus. « À la lecture de l’épître à Henri II prédisant que « la Romanie, la Germanie et l’Espagne […] feront diverses sectes par main militaire », il aurait acquis la conviction que Franco serait dictateur de l’Espagne, Mussolini régnant déjà en Italie (« Romanie ») et Hitler en Allemagne.
En 1934, le pronostic pouvait paraître hasardeux. Il contribuera au succès et à la notoriété de son auteur. Max de Fontbrune poursuit ses lectures et ses interprétations et publie en 1938 un livre de commentaires des Prophéties, signé Max de son pseudonyme.
Dans ces Prophéties, il annonce la chute d’Hitler ; aussi, par crainte du dictateur nazi, le gouvernement de Vichy fait saisir le livre en 1940. En Allemagne, le souci de contrôle de ces prédictions est pris en charge par le puissant ministère de la Propagande.
Dans son journal en mai 1942, Goebbels écrit :
« [Nous avons établi un plan] qui démontre comment nous pourrions utiliser les occultistes dans notre propagande. Les Américains et les Anglais tombent facilement dans ce genre de piège. Nous sommes donc en train d’enrôler tous les experts en prophéties occultes qu’il nous est possible de trouver. Une fois de plus nous allons citer Nostradamus. »
C’est deux ans auparavant, au début de la guerre, que K.-E. Krafft s’était présenté au Bureau principal de la sûreté de l’État du Reich (RSHA). Il participa alors à la propagande nazie en prédisant le succès d’Hitler, rédigeant des horoscopes annonçant victoires et succès. Mais soupçonné de complot, il est déporté au camp.de concentration d’Oranienburg et meurt en janvier 1945, lors d’un transfert à Buchenwald.
Face à cette propagande, les Anglais ne furent pas en reste. En 1943, ils publièrent eux aussi, en allemand, des horoscopes des dirigeants nazis et de fausses revues d’astrologie.
Loin d’une neutralité hautaine, l’astrologie est donc largement instrumentalisée avec une participation active de certains astrologues au développement de l’antisémitisme à la fin des années trente et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les débuts du New-Age
(…) Le passage à « l’ère du Verseau » a ainsi donné lieu à une sorte d’eschatologie astrologique. Changements religieux, politiques et sociaux accompagnent pour certains astrologues le début de ces temps placés sous de nouvelles conjonctions astrales. L’ère du Verseau (Aquarius), qui se situerait au commencement du XXI siècle, correspondrait ainsi à un stade supérieur dans l’évolution spirituelle et sociale de l’humanité.
Paul Le Cour (1871-1954) est l’un de ceux qui donnèrent une large publicité à cette idée. Dans son livre L’Ère du Verseau, dont la première édition date de 1937, il situe précisément cette entrée du soleil dans ce signe zodiacal en 2160. Paul Le Cour y explique que la religion catholique doit se transformer en raison de l’immobilisme de l’Église et de sa condamnation de la « croyance en la pluralité des existences terrestres, enseignée par le druidisme et le pythagoricisme ». Il se réfère à une tradition originelle une religion des Atlantes qui se serait altérée au fil d’évolutions millénaires pour aboutir au christianisme.
Il avait ainsi créé, en 1926 à Paris · avec quelques amis la « Société d’études atlantidéennes » puis la revue Atlantis. Le christianisme n’est donc qu’un avatar de cette religion primitive qui doit à son tour évoluer pour ne pas mourir. Sa transformation aura lieu dans cette ère nouvelle qui s’ouvre : « Pour qu’un sanctuaire apparaisse, il faut qu’un sanctuaire disparaisse » (Nietzsche) et « Que ton règne arrive» est-il rappelé en épigraphe de L’Ère du Verseau. Cette astrologie revendique un ancrage religieux et symbolique, s’appuyant sur une nouvelle tradition composée d’héritages occultistes superposés.
Le spiritisme se revendiquait aussi comme une troisième Révélation divine, permettant au christianisme de survivre grâce à des transformations essentielles.
Dans cet entre-deux-guerres, l’astrologie est donc loin d’être monolithique. Elle n’est pas non plus aussi anodine et ludique que certains journalistes la présentent ou la voudraient. (…)